Ai-je tort de vous écrire aussi souvent ?

Dois-je renfermer en moi tout ce que je pense, et n’êtes-vous pas assez mon ami pour que je puisse espérer de trouver en vous quelque consolation, ne fût-ce que celle de vous parler avec confiance ?

Je n’exige point que je vous répondiez à chacune de mes lettres ; mais quand je suis bien noire, que je ne sais plus que devenir, il ne me vient point d’autre idée que celle écrire. Je sens cependant une sorte de crainte ; je me dis : À quoi cela sera-t-il bon?

Je ne saurais me suffire à moi-même : je n’ai de goût ni d’amitié pour personne, ni personne n’en a pour moi : je me tourmente pour avoir du monde à souper. J’ai mille peines à rassembler une fastidieuse compagnie qui m’ennuie à la mort.

Mardi 17 décembre 1771

Je crois cette lettre éternelle ; cependant, si j'en reçois une de vous demain, j’ajouterai à son éternité.

Samedi 21 décembre, 1771

Cette lettre est immense et ne vous fera certainement nul plaisir. Je ne vous ai dit que des choses inutiles, et j’omets peut-être toutes celles qui auraient pu vous amuser : mais, mon ami, on n’est pas vielle impunément : on perd la mémoire, l’imagination. Il ne reste que l’amitié, et c’est sur quoi il faut se taire. Adieu.

Paris, mardi 7 Janvier, 1772

Ceci n'est point une lettre. Accusez-moi la réception de ce paquet.

J'ai toujours oublié de vous dire que M. d’Éon est une femme. Cela passe pour constant.

Oui, j’ai reçu des nouvelles de madame ; elle écrit à merveille, c’est-à-dire sans prétention et d’un naturel parfait. Je ne sais ce que vous voulez dire de mes magnificences dont elle m’aurait dispensée ; je n’ai à me reprocher dans aucun genre ( et moins dans celui-là que dans tout autre) d’avoir pu blesser sa vanité ; elle m’a fait des présents considérables, je n’ai fait nulle difficulté de les recevoir, je n’en ai point été ni fâchée ni humiliée ; n’était-il-pas convenable qu’il en fût de même d’elle ? Mais on éprouve à tous moments la vérité d’un très-beau vers de ma façon :

Le Monde, chère Agnès, est une étrange chose !

Il fait un vent affreux, j’ai une fenêtre qui ne fait que ballotter, et qui me désoleet me trouble l’imagination : attendez-vous à une sotte lettre.

13 juin 1770

Que puis-je faire pour vous ôter cette opinion? C’est de ne vous plus parler de moi, de ne rien désirer de vous, et de ne vous rien raconter de personne , moyennant cela, vous serez à l’abri de lettres de douze pages, je ne troublerai plus votre tête, et vous ne pourrez pas me dire que je vous ferme les portes de Paris.

Que puis-je faire pour vous ôter cette opinion ? C’est de ne vous plus parler de moi, de ne rien désirer de vous, et de ne vous rien raconter de personne ; moyennant cela, vous serez à l’abri de lettres de douze pages, je ne troublerai plus votre tête, et vous ne pourrez pas me dire que je vous ferme les portes de Paris. Ah, mon ami, que conclurai-je de tout ceci ?

Lettres de Madame du Deffand 1742-1780

Julie-Christine Adélaïde